Je suis sorti des bosquets du sommeil
Je suis sorti des bosquets du sommeil,
Morose un peu de t'avoir délaissée
Sous leurs branches et leurs ombres tressées,
Loin du joyeux et matinal soleil.
Déjà luisent les phlox et les roses trémières ;
Et je m'en vais par le jardin, songeant
A des vers clairs de cristal et d'argent
Qui tinteraient, dans la lumière.
Puis tout à coup, je m'en reviens vers toi,
Avec tant de ferveur et tant d'émoi
Qu'il me semble que ma pensée
De loin, subitement, a déjà traversé,
Pour provoquer ta joie et ton réveil,
Toute l'ombre feuillue et lourde du sommeil.
Et quand je te rejoins dans notre maison tiède
Que l'ombre et le silence encore possèdent,
Mes baisers francs, mes baisers clairs,
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C'était en juin, dans le jardin
C'était en juin, dans le jardin,
C'était notre heure et notre jour ;
Et nos yeux regardaient, avec un tel amour,
Les choses,
Qu'il nous semblait que doucement s'ouvraient
Et nous voyaient et nous aimaient
Les roses.
Le ciel était plus pur qu'il ne le fut jamais :
Les insectes et les oiseaux
Volaient dans l'or et dans la joie
D'un air frêle comme la soie ;
Et nos baisers étalent si beaux
Qu'ils exaltaient et la lumière et les oiseaux.
On eût dit un bonheur qui tout à coup s'azure
Et veut le ciel entier pour resplendir ;
Toute la vie entrait, par de douces brisures,
Dans notre être, pour le grandir.
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Londres
Et ce Londres de fonte et de bronze, mon âme,
Où des plaques de fer claquent sous des hangars,
Où des voiles s'en vont, sans Notre-Dame
Pour étoile, s'en vont, là-bas, vers les hasards.
Gares de suie et de fumée, où du gaz pleure
Ses spleens d'argent lointain vers des chemins d'éclair,
Où des bêtes d'ennui bâillent à l'heure
Dolente immensément, qui tinte à Westminster.
Et ces quais infinis de lanternes fatales,
Parques dont les fuseaux plongent aux profondeurs,
Et ces marins noyés, sous des pétales
De fleurs de boue où la flamme met des lueurs.
Et ces châles et ces gestes de femmes soûles,
Et ces alcools en lettres d'or jusques au toit,
Et tout à coup la mort parmi ces foules,
O mon âme du soir, ce Londres noir qui traîne en toi !
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Les brumes
Brumes mornes d'hiver, mélancoliquement
Et douloureusement, roulez sur mes pensées
Et sur mon coeur vos longs linceuls d'enterrement
Et de rameaux défunts et de feuilles froissées
Et livides, tandis qu'au loin, vers l'horizon,
Sous l'ouatement mouillé de la plaine dormante,
Parmi les échos sourds et souffreteux, le son
D'un angelus lassé se perd et se lamente
Encore et va mourir dans le vide du soir,
Si seul, si pauvre et si craintif, qu'une corneille,
Blottie entre les gros arceaux d'un vieux voussoir,
A l'entendre gémir et sangloter, s'éveille
Et doucement répond et se plaint à son tour
A travers le silence entier que l'heure apporte,
Et tout à coup se tait, croyant que dans la tour
L'agonie est éteinte et que la cloche est morte.
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La barque
Il gèle et des arbres pâlis de givre clair
Montent au loin, ainsi que des faisceaux de lune ;
Au ciel purifié, aucun nuage ; aucune
Tache sur l'infini silencieux de l'air.
Le fleuve où la lueur des astres se réfracte
Semble dallé d'acier et maçonné d'argent ;
Seule une barque est là, qui veille et qui attend,
Les deux avirons pris dans la glace compacte.
Quel ange ou quel héros les empoignant soudain
Dispersera ce vaste hiver à coups de rames
Et conduira la barque en un pays de flammes
Vers les océans d'or des paradis lointains ?
Ou bien doit-elle attendre à tout jamais son maître,
Prisonnière du froid et du grand minuit blanc,
Tandis que des oiseaux libres et flagellant
Les vents, volent, là-haut, vers les printemps à naître ?
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Heure d'automne
C'est bien mon deuil, le tien, ô l'automne dernière !
Râles que roule, au vent du nord, la sapinière,
Feuillaison d'or à terre et feuillaison de sang,
Sur des mousses d'orée ou des mares d'étang,
Pleurs des arbres, mes pleurs, mes pauvres pleurs de sang.
C'est bien mon deuil, le tien, ô l'automne dernière !
Secousses de colère et rages de crinière,
Buissons battus, mordus, hachés, buissons crevés,
Au double bord des longs chemins, sur les pavés,
Bras des buissons, mes bras, mes pauvres bras levés.
C'est bien mon deuil, le tien, ô l'automne dernière ?
Quelque chose, là-bas, broyé dans une ornière,
Qui grince immensément ses désespoirs ardus
Et qui se plaint, ainsi que des arbres tordus,
Cris des lointains, mes cris, mes pauvres cris perdus.
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Les menus faits, les mille riens
Les menus faits, les mille riens,
Une lettre, une date, un humble anniversaire,
Un mot que l'on redit comme aux jours de naguère
Exalte en ces longs soirs ton coeur comme le mien.
Et nous solennisons pour nous ces simples choses
Et nous comptons et recomptons nos vieux trésors,
Pour que le peu de nous qui nous demeure encor
Reste ferme et vaillant devant l'heure morose.
Et plus qu'il ne convient, nous nous montrons jaloux
De ces pauvres, douces et bienveillantes joies
Qui s'asseyent sur le banc près du feu qui flamboie
Avec les fleurs d'hiver sur leurs maigres genoux,
Et prennent dans la huche, où leur bonté le cèle,
Le pain clair du bonheur qui nous fut partagé,
Et dont, chez nous, l'amour a si longtemps mangé
Qu'il en aime jusqu'aux parcelles.
poem by Emile Verhaeren
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Lorsque ta main confie, un soir...
Lorsque ta main confie, un soir des mois torpides,
Au cellier odorant les fruits de ton verger,
Il me semble te voir avec calme ranger
Nos anciens souvenirs parfumés et sapides.
Et le goût m'en revient tel qu'il passa jadis
Dans l'or et le soleil et le vent - sur mes lèvres ;
Et je revis alors mille instants abolis
Et leur joie et leur rire et leurs cris et leurs fièvres.
Le passé ressuscite avec un tel désir
D'être encor le présent et sa vie et sa force,
Que les feux mal éteints brûlent soudain mon torse,
Et que mon coeur exulte au point d'en défaillir.
O beaux fruits lumineux en ces ombres d'automne,
Joyaux tombés du collier lourd des étés roux,
Splendeurs illuminant nos heures monotones
Quel ample et rouge éveil vous suscitez en nous.
poem by Emile Verhaeren
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Fleur fatale
L'absurdité grandit comme une fleur fatale
Dans le terreau des sens, des coeurs et des cerveaux ;
En vain tonnent, là-bas, les prodiges nouveaux ;
Nous, nous restons croupir dans la raison natale.
Je veux marcher vers la folie et ses soleils,
Ses blancs soleils de lune au grand midi, bizarres,
Et ses échos lointains, mordus de tintamarres
Et d'aboiements et pleins de chiens vermeils.
Iles en fleurs, sur un lac de neige ; nuage
Où nichent des oiseaux sous les plumes du vent ;
Grottes de soir, avec un crapaud d'or devant,
Et qui ne bouge et mange un coin du paysage.
Becs de hérons, énormément ouverts pour rien,
Mouche, dans un rayon, qui s'agite, immobile
L'insconscience douce et le tic-tac débile
De la tranquille mort des fous, je l'entends bien !
poem by Emile Verhaeren
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Oh! tes si douces mains
Oh ! tes si douces mains et leur lente caresse
Se nouant à mon cou et glissant sur mon torse
Quand je te dis, au soir tombant, combien ma force
S'alourdit, jour à jour, du plomb de ma faiblesse !
Tu ne veux pas que je devienne ombre et ruine
Comme ceux qui s'en vont du côté des ténèbres,
Fût-ce avec un laurier entre leurs mains funèbres
Et la gloire endormie en leur creuse poitrine.
Oh ! que la loi du temps m'est par toi adoucie,
Et que m'est généreux et consolant ton songe.
Pour la première fois tu berces d'un mensonge
Mon coeur qui t'en excuse et qui t'en remercie ;
Mais qui sait bien pourtant que toute ardeur est vaine
Contre tout ce qui est et tout ce qui doit être,
Et qu'un profond bonheur se rencontre peut-être
A finir en tes yeux ma belle vie humaine.
poem by Emile Verhaeren
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