Croquis de cloître (I)
Dans un pesant repos d'après-midi vermeil,
Les stalles en vieux chêne éteint sont alignées,
Et le jour traversant les fenêtres ignées
Etale, au fond du choeur, des nattes de soleil.
Et les moines dans leurs coules toutes les mêmes,
- Mêmes plis sur leur manche et mêmes sur leur froc,
Même raideur et même attitude de roc -
Sont là debout, muets, plantés sur deux rangs blêmes.
Et l'on s'attend à voir leurs gestes arrêtés
Se prolonger soudain et les versets chantés
Rompre, à tonnantes voix, ces silences qui pèsent ;
Mais rien ne bouge, au long du sombre mur qui fuit,
Et les heures s'en vont, par le couvent, sans bruit,
Et toujours et toujours les grands moines se taisent.
poem by Emile Verhaeren
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Les récoltes
Sitôt que le soleil dans le matin luisait,
Comme un éclat vermeil sur un saphir immense,
Que dans l'air les oiseaux détaillaient leur romance,
Lu ferme tout entière au travail surgissait.
Un va-et-vient, mêlé d'appels hâtifs bruissait,
Et les bêtes de cour, en farfouille, en démence,
Courant, sautant, volant, mêlaient d'accoutumance,
Leurs cris et leur folie à ce bruit qui haussait.
Et dès l'aube, on partait ensemble au long des haies,
Sarcler des champs de lin, entourés de saulaies,
Couper, tasser, rentrer le foin par chariots.
Là-haut, chantaient pinsons, tarins et loriots,
Les plaines embaumaient au loin ; et gars et gouges
Tachaient les carrés verts de camisoles rouges.
poem by Emile Verhaeren
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L'étable
Et pleine d'un bétail magnifique, l'étable,
A main gauche, près des fumiers étagés haut,
Volets fermés, dormait d'un pesant sommeil chaud,
Sous les rayons serrés d'un soleil irritable.
Dans la moite chaleur de la ferme au repos,
Dans la vapeur montant des fumantes litières,
Les boeufs dressaient le roc de leurs croupes altières
Et les vaches beuglaient très doux, les yeux mi-clos.
Midi sonnant, les gars nombreux curaient les auges
Et les comblaient de foins, de lavandes, de sauges,
Que les bêtes broyaient d'un lourd mâchonnement ;
Tandis que les doigts gourds et durcis des servantes
Étiraient longuement les mamelles pendantes
Et grappillaient les pis tendus, canaillement.
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poem by Emile Verhaeren
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Roses de juin, vous les plus belles
Roses de juin, vous les plus belles,
Avec vos coeurs de soleil transpercés ;
Roses violentes et tranquilles, et telles
Qu'un vol léger d'oiseaux sur les branches posés ;
Roses de Juin et de Juillet, droites et neuves,
Bouches, baisers qui tout à coup s'émeuvent
Ou s'apaisent, au va-et-vient du vent,
Caresse d'ombre et d'or, sur le jardin mouvant ;
Roses d'ardeur muette et de volonté douce,
Roses de volupté en vos gaines de mousse,
Vous qui passez les jours du plein été
A vous aimer, dans la clarté ;
Roses vives, fraîches, magnifiques, toutes nos roses
Oh ! que pareils à vous nos multiples désirs,
Dans la chère fatigue ou le tremblant plaisir
S'entr'aiment, s'exaltent et se reposent !
poem by Emile Verhaeren
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En hiver
Le sol trempé se gerce aux froidures premières,
La neige blanche essaime au loin ses duvets blancs,
Et met, au bord des toits et des chaumes branlants,
Des coussinets de laine irisés de lumières.
Passent dans les champs nus les plaintes coutumières,
A travers le désert des silences dolents,
Où de grands corbeaux lourds abattent leurs vols lents
Et s'en viennent de faim rôder près des chaumières.
Mais depuis que le ciel de gris s'était couvert,
Dans la ferme riait une gaieté d'hiver,
On s'assemblait en rond autour du foyer rouge,
Et l'amour s'éveillait, le soir, de gars à gouge,
Au bouillonnement gras et siffleur, du brassin
Qui grouillait, comme un ventre, en son chaudron d'airain.
poem by Emile Verhaeren
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La peur
Par les plaines de ma crainte, tournée au Nord,
Voici le vieux berger des Novembres qui corne,
Debout, comme un malheur, au seuil du bercail morne,
Qui corne au loin l'appel des troupeaux de la mort.
L'étable est là, lourde et vieille comme un remords,
Au fond de mes pays de tristesse sans borne,
Qu'un ruisselet, bordé de menthe et de viorne
Lassé de ses flots lourds, flétrit, d'un cours retors.
Brebis noires, à croix rouges sur les épaules,
Et béliers couleur feu rentrent, à coups de gaule,
Comme ses lents péchés, en mon âme d'effroi ;
Le vieux berger des Novembres corne tempête.
Dites, quel vol d'éclairs vient d'effleurer ma tête
Pour que, ce soir, ma vie ait eu si peur de moi ?
poem by Emile Verhaeren
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La grande chambre
Et voici quelle était la chambre hospitalière
Où l'étranger trouvait bon gîte et réconfort,
Où les fils étaient nés, où l'aïeul était mort,
Où l'on avait tassé ce grand corps dans sa bière.
Aux kermesses, aux jours de foire et de décor,
La ferme y célébrait la fête coutumière,
Et jadis, quand vivait encore la fermière,
Elle y trônait, au centre, avec ses pendants d'or.
Les murs étaient crépis, deux massives armoires
Étalaient dans les coins leur bois zébré de moires ;
Au fond, un christ en plâtre expirait sous un dais,
Le front troué, les yeux ouverts sur les ivresses ;
Et le parfum des lards et la senteur des graisses
Montaient vers son coeur nu, comme un encens mauvais.
poem by Emile Verhaeren
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L'enclos
Quatre fossés couraient autour de l'enclos. Or,
Quand le soleil de Mai, brûlant l'air de ses flammes,
Sabrait leur eau dormante avec toutes ses lames,
La ferme s'allumait d'un encadrement d'or.
Ils s'étendaient, plaqués au bord de mousse verte
Et de lourds nénuphars étoilant le flot noir.
Les grenouilles venaient y coasser, le soir,
L'oeil large ouvert, le dos enflé, le corps inerte.
Des canards pavoisés y nageaient fiers et lents,
Des canards bleus, verts, gris, pourpres, des canards blancs,
Des canards clairs et blancs, avec un grand bec jaune ;
Ils y plongeaient leur aile et leur ventre lustré,
Et les pattes battant les eaux, le col doré,
Cassaient rageusement des iris longs d'une aune.
poem by Emile Verhaeren
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Les granges
S'élargissaient, là-bas, les granges recouvertes,
Aux murs, d'épais crépis et de blancs badigeons,
Au faîte, d'un manteau de pailles et de joncs,
Où mordaient par endroits les dents des mousses vertes.
De vieux ceps tortueux les ascendaient, alertes,
Luttant d'assauts avec les lierres sauvageons,
Et deux meules flanquaient, ainsi que deux donjons,
Les portes qui bâillaient sur les champs, large-ouvertes.
Et par elles, sortait le ronron des moulins,
Rompu par les fléaux frappant l'aire à coups pleins,
Comme un pas de soldats qu'un tambour accompagne ;
On eût dit que le coeur de la ferme battait,
Dans ce bruit régulier qui baissait et montait,
Et le soir, comme un chant, endormait la campagne.
poem by Emile Verhaeren
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Cuisson du pain
Les servantes faisaient le pain pour les dimanches,
Avec le meilleur lait, avec le meilleur grain,
Le front courbé, le coude en pointe hors des manches,
La sueur les mouillant et coulant au pétrin.
Leurs mains, leurs doigts, leur corps entier fumait de hâte,
Leur gorge remuait dans les corsages pleins.
Leurs deux poings monstrueux pataugeaient dans la pâte
Et la moulaient en ronds comme la chair des seins.
Le bois brûlé se fendillait en braises rouges
Et deux par deux, du bout d'une planche, les gouges
Dans le ventre des fours engouffraient les pains mous.
Et les flammes, par les gueules s'ouvrant passage,
Comme une meute énorme et chaude de chiens roux,
Sautaient en rugissant leur mordre le visage.
poem by Emile Verhaeren
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