Et qu'importent et les pourquoi et les raisons
Et qu'importent et les pourquoi et les raisons
Et qui nous fûmes et qui nous sommes :
Tout doute est mort, en ce jardin de floraisons
Qui s'ouvre en nous et hors de nous, si loin des hommes.
Je ne raisonne pas, et ne veux pas savoir
Et rien ne troublera ce qui n'est que mystère
Et qu'élans doux et que ferveur involontaire
Et que tranquille essor vers nos parvis d'espoir.
Je te sens claire, avant de te comprendre telle ;
Et c'est ma joie, infiniment,
De m'éprouver si doucement aimant
Sans demander pourquoi ta voix m'appelle.
Soyons simples et bons - et que le jour
Nous soit tendresse et lumière servies,
Et laissons dire que la vie
N'est point faite pour un pareil amour.
poem by Emile Verhaeren
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Soir religieux (I)
Près du fleuve roulant vers l'horizon ses ors
Et ses pourpres et ses vagues entre-frappées,
S'ouvre et rayonne, ainsi qu'un grand faisceau d'épées,
L'abside ardente avec ses sveltes contreforts.
La nef allume auprès ses merveilleux décors :
Ses murailles de fer et de granit drapées,
Ses verrières d'émaux et de bijoux jaspées
Et ses cryptes, où sont couchés des géants morts ;
L'âme des jours anciens a traversé la pierre
De sa douleur, de son encens, de sa prière
Et resplendit dans les soleils des ostensoirs ;
Et tel, avec ses toits lustrés comme un pennage,
Le temple entier paraît surgir au fond des soirs,
Comme une chasse énorme, où dort le moyen âge.
poem by Emile Verhaeren
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Sonnet
Par les pays des soirs, au nord de ma tristesse,
Mous d'automne, le vent se pleure en de la pluie
Et m'angoisse soudain d'une nuée enfuie,
Avec un geste au loin d'âpre scélératesse.
Est-ce la mort qu'annoncerait la prophétesse,
Au fond de ce grand ciel d'octobre où je m'ennuie
- Depuis quel temps ? - à suivre un vol d'oiseaux de suie
Tourner dans l'infini leur si même vitesse ?
Attendre et craindre d'être ! Et voir, en attendant
Toujours le même rêve, en l'air moite et fondant,
Avec ces cormorans de deuil curver des lignes,
Le soir, quand le pêcheur lassé de la douleur,
Celui dont la nuée interprète les signes,
Pêche de la rancune en les bas-fonds du coeur.
poem by Emile Verhaeren
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Croquis de cloître (III)
En automne, dans la douceur des mois pâlis,
Quand les heures d'après-midi tissent leurs mailles,
Au vestiaire, où les moines, en blancs surplis,
Rentrent se dévêtir pour aller aux semailles,
Les coules restent pendre à l'abandon. Leur plis
Solennellement droits descendent des murailles,
Comme des tuyaux d'orgue et des faisceaux de lys,
Et les derniers soleils les tachent de médailles.
Elles luisent ainsi sous la splendeur du jour,
Le drap pénétré d'or, d'encens et d'orgueil lourd,
Mais quand s'éteint au loin la diurne lumière,
Mystiquement, dans les obscurités des nuits,
Elles tombent, le long des patères de buis,
Comme un affaissement d'ardeur et de prière.
poem by Emile Verhaeren
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Sur la côte
Un vent rude soufflait par les azurs cendrés,
Quand du côté de l'aube, ouverte à l'avalanche,
L'horizon s'ébranla dans une charge blanche
Et dans un galop fou de nuages cabrés.
Le jour entier, jour clair, jour sans pluie et sans brume,
Les crins sautants, les flancs dorés, la croupe en feu,
Ils ruèrent leur course à travers l'éther bleu,
Dans un envolement d'argent pâle et d'écume.
Et leur élan grandit encor lorsque le soir,
Coupant l'espace entier de son grand geste noir,
Les poussa vers la mer, où criaient les rafales,
Et que l'ample soleil de juin, tombé de haut,
Se débattit, sanglant, sous leur farouche assaut,
Comme un rouge étalon dans un rut de cavales.
poem by Emile Verhaeren
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Des soirs
Sous les vitres du hall nitreux que le froid fore
Et vrille et que de mats brouillards baignent de vair,
Un soir, en tout à coup de gel, s'ouvre l'hiver,
Dans le foyer, fourbi de naphte et de phosphore
Qui brûle : et le charbon pointu se mousse d'or
Et le posthume été dans l'or se réitère ;
Il émeraude un bol, il enturquoise un verre
Et multiplie en chatons d'or son âme encor.
Par à travers ce feu qui le détruit, sa joie
Est de faire des fleurs parmi les lustres, vivre !
Et d'allumer sa mort comme une fête. Au loin,
Lorsque tonne l'automne et que le vent disjoint
On serre en noeud ses poings et que gratte le givre...
Ô cette mort que l'on torture et qui flamboie !
poem by Emile Verhaeren
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La cuisine
Au fond, la crémaillère avait son croc pendu,
Le foyer scintillait comme une rouge flaque,
Et ses flammes, mordant incessamment la plaque,
Y rongeaient un sujet obscène en fer fondu.
Le feu s'éjouissait sous le manteau tendu
Sur lui, comme l'auvent par-dessus la baraque,
Dont les bibelots clairs, de bois, d'étain, de laque,
Crépitaient moins aux yeux que le brasier tordu.
Les rayons s'échappaient comme un jet d'émeraudes,
Et, ci et là, partout, donnaient des chiquenaudes
De clarté vive aux brocs de verre, aux plats d'émail,
A voir sur tout relief tomber une étincelle,
On eût dit - tant le feu s'émiettait par parcelle -
Qu'on vannait du soleil à travers un vitrail.
poem by Emile Verhaeren
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Lorsque s'épand sur notre seuil la neige fine
Lorsque s'épand sur notre seuil la neige fine
Au grain diamanté,
J'entends tes pas venir rôder et s'arrêter
Dans la chambre voisine.
Tu retires le clair et fragile miroir
Du bord de la fenêtre,
Et ton trousseau de clefs balle au long du tiroir
De l'armoire de hêtre.
J'écoute et te voici qui tisonnes le feu
Et réveilles les braises ;
Et qui ranges autour des murs silencieux
Le silence des chaises.
Tu enlèves de la corbeille aux pieds étroits
La fugace poussière,
Et ta bague se heurte et résonne aux parois
Frémissantes d'un verre.
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poem by Emile Verhaeren
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La ferme
A voir la ferme au loin monter avec ses toits,
Monter, avec sa tour et ses meules en dômes
Et ses greniers coiffés de tuiles et de chaumes,
Avec ses pignons blancs coupés par angles droits ;
A voir la ferme au loin monter dans les verdures,
Reluire et s'étaler dans la splendeur des Mais,
Quand l'été la chauffait de ses feux rallumés
Et que les hêtres bruns l'éventaient de ramures :
Si grande semblait-elle, avec ses rangs de fours,
Ses granges, ses hangars, ses étables, ses cours,
Ses poternes de vieux clous noirs bariolées,
Son verger luisant d'herbe et grand comme un chantier,
Sa masse se carrant au bout de trois allées,
Qu'on eût dit le hameau tassé là, tout entier.
poem by Emile Verhaeren
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L'ombre est lustrale et l'aurore irisée
L'ombre est lustrale et l'aurore irisée.
De la branche, d'où s'envole là-haut
L'oiseau,
Tombent des gouttes de rosée.
Une pureté lucide et frêle
Orne le matin si clair
Que des prismes semblent briller dans l'air.
On écoute une source ; on entend un bruit d'ailes.
Oh ! que tes yeux sont beaux, à cette heure première
Où nos étangs d'argent luisent dans la lumière
Et reflètent le jour qui se lève là-bas.
Ton front est radieux et ton artère bat.
La vie intense et bonne et sa force divine
Entrent si pleinement, tel un battant bonheur,
En ta poitrine
Que pour en contenir l'angoisse et la fureur,
Tes mains soudain prennent mes mains
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poem by Emile Verhaeren
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