L'Escaut
Et celui-ci puissant, compact, pâle et vermeil,
Remue, en ses mains d'eau, du gel et du soleil ;
Et celui-là étale, entre ses rives brunes,
Un jardin sombre et clair pour les jeux de la lune ;
Et cet autre se jette à travers le désert,
Pour suspendre ses flots aux lèvres de la mer
Et tel autre, dont les lueurs percent les brumes
Et tout à coup s'allument,
Figure un Wahallah de verre et d'or,
Où des gnomes velus gardent les vieux trésors.
En Touraine, tel fleuve est un manteau de gloire.
Leurs noms ? L'Oural, l'Oder, le Nil, le Rhin, la Loire.
Gestes de Dieux, cris de héros, marche de Rois,
Vous les solennisez du bruit de vos exploits.
Leurs bords sont grands de votre orgueil ; des palais vastes
Y soulèvent jusques aux nuages leur faste.
Tous sont guerriers : des couronnes cruelles
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Hommage
Pour y tasser le poids de tes belles lourdeurs,
Tes doubles seins frugaux et savoureux qu'arrose
Ton sang, tes bras bombés que lustre la peau rose,
Ton ventre où les poils roux toisonnent leurs splendeurs,
Je tresserai mes vers comme, au fond des villages,
Assis, au seuil de leur maison, les vieux vanniers
Mêlent les osiers bruns et blancs de leurs paniers,
En dessins nets, pris à l'émail des carrelages.
Ils contiendront les ors fermentés de ton corps ;
Et je les porterai comme des fleurs de fête,
En tas massifs et blonds, au soleil, sur ma tête,
Orgueilleusement clair, comme il convient aux forts.
Ta grande chair me fait songer aux centauresses
Dont Paul Rubens, avec le feu de ses pinceaux,
Incendiait les crins au clair, les bras en graisse,
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Mon village
Une place minime et quelques rues,
Avec un Christ au carrefour ;
Et l'Escaut gris et puis la tour
Qui se mire, parmi les eaux bourrues ;
Et le quartier du Dam, misérable et lépreux,
Jeté comme au hasard vers les prairies ;
Et près du cimetière aux buis nombreux,
La chapelle vouée à la Vierge Marie,
Par un marin qui s'en revint
On ne sait quand
Des Bermudes ou de Ceylan ;
Tel est - je m'en souviens après combien d'années -
Le village de Saint-Amand
Où je suis né.
C'est là que je vécus mon enfance angoissée,
Parmi les gens de peine et de métier,
Corroyeurs, forgerons, calfats et charpentiers,
Avec le fleuve immense au bout de ma pensée.
Les jours de franc soleil et de belle saison,
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Kato
Après avoir lavé les puissants mufles roux
De ses vaches, curé l'égout et la litière,
Troussé son jupon lâche à hauteur des genoux,
Ouvert, au jour levant, une porte à chatière,
Kato, la grasse enfant, la pataude, s'assied,
Un grand mouchoir usé lui recouvrant la nuque,
Sur le vieil escabeau qui ne tient que d'un pied,
Dans l'ombre dense, où luit encore un noctiluque.
Le tablier de cuir rugueux sert de cuissart ;
Les pieds sont nus dans des sabots. Voici sa pose :
Le sceau dans le giron, les jambes en écart,
Les cinq doigts grapilleurs étirant le pis rose.
C'est sa besogne à l'aube, au soir, au coeur du jour,
De venir traire et bousculer gaiement ses bêtes,
En songeant d'un oeil vague aux bombances d'amour
Aux baisers de son gars dans les charnelles fêtes,
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A Pâques
Frère Jacques, frère Jacques,
Réveille-toi de ton sommeil d'hiver
Les fins taillis sont déjà verts
Et nous voici au temps de Pâques,
Frère Jacques.
Au coin du bois morne et blêmi
Où ton grand corps s'est endormi
Depuis l'automne,
L'aveugle et vacillant brouillard,
Sur les grand-routes du hasard,
S'est promené, longtemps, par les champs monotones ;
Et les chênes aux rameaux noirs
Tordus de vent farouche
Ont laissé choir,
De soir en soir,
Leur feuillage d'or mort sur les bords de ta couche.
Frère Jacques,
Il a neigé durant des mois
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La clémence
C'était un doux pays illuminé de plaines
Où circulaient de longs troupeaux
Dont on voyait les laines
Blanchir les prés et se mirer dans l'eau ;
C'étaient des champs de fleurs à l'infini :
Un fleuve y sinuait de chaumière en chaumière ;
Son cours faisait, au loin, un geste de lumière ;
C'étaient des lacs, cernés de joncs ; tels de grands nids,
Où s'endormaient les oiseaux en silence,
Où seul, un vent très lent de paix et de clémence
Remuait l'air paisible autour d'un îlot d'or.
C'était l'heure du soir et des vagues étales
Quand l'écho lisse et pur double, de bord en bord,
La voix des passeurs d'eau sur les rives natales.
Les villages songeaient au fond des avenues.
Persuasives et bienvenues
Les bonnes volontés d'aimer et de bien vivre
Dilataient l'être - et l'esprit semblait ivre
Ou de joie attendrie ou de fière douleur.
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Ceux de Liége
Dût la guerre mortelle et sacrilège
Broyer notre pays de combats en combats,
Jamais, sous le soleil, une âme n'oubliera
Ceux qui sont morts pour le monde, là-bas
A Liége.
Ainsi qu'une montagne
Qui marcherait et laisserait tomber par chocs
Ses blocs
Sur les villes et les campagnes,
S'avançait la pesante et féroce Allemagne.
Oh tragique moment !
Les gens fuyaient vers l'inconnu, éperdument ;
Seuls, ceux de Liége résistèrent
A ce sinistre écroulement
D'hommes et d'armes sur la terre.
S'ils agirent ainsi,
C'est qu'ils savaient qu'entre leurs mains était remis
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Le voyage
Je ne puis voir la mer sans rêver de voyages.
Le soir se fait, un soir ami du paysage,
Où les bateaux, sur le sable du port,
En attendant le flux prochain, dorment encor.
Oh ce premier sursaut de leurs quilles cabrées,
An fouet soudain des montantes marées !
Oh ce regonflement de vie immense et lourd
Et ces grands flots, oiseaux d'écume,
Qui s'abattent du large, en un effroi de plumes,
Et reviennent sans cesse et repartent toujours !
La mer est belle et claire et pleine de voyages.
A quoi bon s'attarder près des phares du soir
Et regarder le jeu tournant de leurs miroirs
Réverbérer au loin des lumières trop sages ?
La mer est belle et claire et pleine de voyages
Et les flammes des horizons, comme des dents,
Mordent le désir fou, dans chaque coeur ardent :
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Celui de la fatigue
Ce soir, l'homme de la fatigue
A regarder s'illimiter la mer,
Sous le règne du vent despote et des éclairs,
Les bras tombants, là-bas, s'est assis sur ma digue.
Le vêtement des plus beaux rêves,
L'orgueil des humaines sciences brèves,
L'ardeur, sans plus aucun sursaut de sève,
Tombaient, en loques, sur son corps :
Cet homme était vêtu de siècles morts.
Il n'était plus la vie,
Il n'était point encor la mort ;
Il était la fatigue inassouvie.
Il avait vu brûler d'étranges pierres,
Jadis, dans les brasiers de la pensée :
Les feux avaient léché les cils de ses paupières
Et son ardeur s'était cassée
Sur l'escalier tournant de l'infini.
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Le port
Toute la mer va vers la ville !
Son port est surmonté d'un million de croix :
Vergues transversales barrant de grands mâts droits.
Son port est pluvieux et suie à travers brumes,
Où le soleil comme un oeil rouge et colossal larmoie.
Son port est ameuté de steamers noirs qui fument
Et mugissent, au fond du soir, sans qu'on les voie.
Son port est fourmillant et musculeux de bras
Perdus en un fouillis dédalien d'amarres.
Son port est tourmenté de chocs et de fracas
Et de marteaux tournant dans l'air leurs tintamarres.
Toute la mer va vers la ville !
Les flots qui voyagent comme les vents,
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