Les malades
Pâles, nerveux et seuls, les tragiques malades
Vivent avec leurs maux. Ils regardent le soir
Se faire dans leur chambre et grandir les façades.
Une église près d'eux lève son clocher noir,
Heure morte, là-bas, quelque part, en province,
En des quartiers perdus, au fond d'un clos désert,
Où s'endeuillent les murs et les porches dont grince
Le gond monumental, ainsi qu'un poing de fer.
Pâles et seuls les malades hiératiques,
Pareils à de vieux loups mornes, flairent la mort ;
Ils ont mâché la vie et ses jours identiques
Et ses mois et ses ans et leur haine et leur sort.
Mais aujourd'hui, barricadés dans le cynisme
De leur dégoût, ils ont l'esprit inquiété :
' Si le bonheur régnait dans ce mâle égoïsme :
' Souffrir pour soi, tout seul, mais par sa volonté ?
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Les promeneuses
Au long de promenoirs qui s'ouvrent sur la nuit
- Balcons de fleurs, rampes de flammes -
Des femmes en deuil de leur âme
Entrecroisent leurs pas sans bruit.
Le travail de la ville et s'épuise et s'endort :
Une atmosphère éclatante et chimique
Etend au loin ses effluves sur l'or
Myriadaire d'un grand décor panoramique.
Comme des clous, le gaz fixe ses diamants
Autour de coupoles illuminées ;
Des colonnes passionnées
Tordent de la douleur au firmament.
Sur les places, des buissons de flambeaux
Versent du soufre ou du mercure ;
Tel coin de monument qui se mire dans l'eau
Semble un torse qui bouge en une armure.
La ville est colossale et luit comme une mer
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La vie ardente
Mon coeur, Je l'ai rempli du beau tumulte humain :
Tout ce qui fut vivant et haletant sur terre,
Folle audace, volonté sourde, ardeur austère
Et la révolte d'hier et l'ordre de demain
N'ont point pour les juger refroidi ma pensée.
Sombres charbons, j'ai fait de vous un grand feu d'or,
N'exaltant que sa flamme et son volant essor
Qui mêlaient leur splendeur à la vie angoissée.
Et vous, haines, vertus, vices, rages, désirs,
je vous accueillis tous, avec tous vos contrastes,
Afin que fût plus long, plus complexe et plus vaste
Le merveilleux frisson qui me fit tressaillir.
Mon coeur à moi ne vit dûment que s'il s'efforce ;
L'humanité totale a besoin d'un tourment
Qui la travaille avec fureur, comme un ferment,
Pour élargir sa vie et soulever sa force.
Qu'importe, si l'on part, qu'on n'arrive jamais,
Et que l'on voie au loin se déplacer les cimes !
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Le meurtre
En ces heures de vice et de crime rigides,
Se rêve un meurtre ardent, que la nuit grandirait
De son orgueil - plafond d'ébène et clous algides -
Et de la toute horreur de sa noire forêt,
Là-bas, quand, parmi les ombres qui se menacent,
Au clair acier des eaux, un glaive d'or surgit
Vers les rages qui vont et les haines qui passent.
- Et pieds mystérieux, pieds de marbre, sans bruit,
Là, quelque part, aux carrefours, en des ténèbres -
Un silence total ferme la plaine, au loin :
Le ciel indifférent voile ses clairs algèbres,
Et rien, pas même Dieu, ne semble être témoin.
Tous les mêmes, luisants de lierre et tous les mêmes
D'écorce et de rameaux, comme un effarement,
Sur double rang, là-bas, jusqu'aux horizons blêmes,
Muets et seuls, des arbres vont, infiniment.
- Un grand éclair nerveux, au bout d'un poing logique,
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Les meules qui brûlent
La plaine, au fond des soirs, s'est allumée,
Et les tocsins cassent leurs bonds de sons,
Aux quatre murs de l'horizon.
- Une meule qui brûle ! -
Par les sillages des chemins, la foule,
Par les sillages des villages, la foule houle
Et dans les cours, les chiens de garde ululent.
- Une meule qui brûle ! -
La flamme ronfle et casse et broie,
S'arrache des haillons qu'elle déploie,
Ou sinueuse et virgulante
S'enroule en chevelure ardente ou lente
Puis s'apaise soudain et se détache
Et ruse et se dérobe - ou rebondit encor :
Et voici, clairs, de la boue et de l'or,
Dans le ciel noir qui s'empanache.
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La chance
En tes rêves, en tes pensées,
En ta main souple, en ton bras fort,
En chaque élan tenace où s'exerce ton corps
La chance active est ramassée.
Dis, la sens-tu, prête à bondir
Jusques au bout de ton désir ?
La sens-tu qui t'attend, et te guette et s'entête
A éprouver quand même, et toujours, et encor
Pour ton courage et pour ton réconfort
Le sort ?
Ceux qui confient aux flots et leurs biens et leurs vies
N'ignorent pas qu'elle dévie
De tout chemin trop régulier ;
Ils se gardent de la lier
Avec des liens trop durs au mât de leur fortune ;
Ils savent tous que, pareille à la lune,
Elle s'éclaire et s'obscurcit à tout moment
Et qu'il faut en aimer la joie et le tourment.
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Novembre
Les grand'routes tracent des croix
A l'infini, à travers bois ;
Les grand'routes tracent des croix lointaines
A l'infini, à travers plaines ;
Les grand'routes tracent des croix
Dans l'air livide et froid,
Où voyagent les vents déchevelés
A l'infini, par les allées.
Arbres et vents pareils aux pèlerins,
Arbres tristes et fous où l'orage s'accroche,
Arbres pareils au défilé de tous les saints,
Au défilé de tous les morts
Au son des cloches,
Arbres qui combattez au Nord
Et vents qui déchirez le monde,
Ô vos luttes et vos sanglots et vos remords
Se débattant et s'engouffrant dans les âmes profondes !
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Cantiques
Je voudrais posséder pour dire tes splendeurs,
Le plain-chant triomphal des vagues sur les sables,
Ou les poumons géants des vents intarissables ;
Je voudrais dominer les lourds échos grondeurs,
Qui jettent, dans la nuit des paroles étranges,
Pour les faire crier et clamer tes louanges ;
Je voudrais que la mer tout entière chantât,
Et comme un poids le monde élevât sa marée,
Pour te dire superbe et te dresser sacrée ;
Je voudrais que ton nom dans le ciel éclatât,
Comme un feu voyageur et roulât, d'astre en astre,
Avec des bruits d'orage et des heurts de désastre.
Les pieds onglés de bronze et les yeux large ouverts,
Comme de grands lézards, buvant l'or des lumières,
Se traînent vers ton corps mes désirs longs et verts.
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Vers le cloître
Je rêve une existence en un cloître de fer,
Brûlée au jeûne et sèche et râpée aux cilices,
Où l'on abolirait, en de muets supplices,
Par seule ardeur de l'âme, enfin, toute la chair.
Sauvage horreur de soi si mornement sentie !
Quand notre corps nous boude et que nos nerfs, la nuit,
Jettent sur nos vouloirs leur cagoule d'ennui,
Ou brusquement nous arrachent à l'inertie.
Dites, ces pleurs, ces cris et cette peur du soir !
Dites, ces plombs de maladie en tous les membres,
Et la lourde torpeur des morbides novembres,
Et le dégoût de se toucher et de se voir ?
Dites, ces mains qui regrettent l'ancien vice
Et qui cherchent encor aux rondeurs des coussins
Et des toisons de ventre et des grappes de seins
Et de moites chaleurs pour le songe complice ?
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Les plaines
Sous la tristesse et l'angoisse des cieux
Les lieues
S'en vont autour des plaines ;
Sous les cieux bas
Dont les nuages traînent
Immensément, les lieues
Se succèdent, là-bas.
Droites sur des chaumes, les tours ;
Et des gens las, par tas,
Qui vont de bourg en bourg:
Les gens vaguants
Comme la route, ils ont cent ans ;
Ils vont de plaine en plaine,
Depuis toujours, à travers temps.
Les précèdent ou bien les suivent
Les charrettes dont les convois dérivent
Vers les hameaux et les venelles,
Les charrettes perpétuelles,
Grinçant le lamentable cri,
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poem by Emile Verhaeren
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